Analyses tactiques

Bataille de Trasimene 217 av. JC – Analyse tactique

Bataille de Trasimene - 217 av.JC - René HYS

Bataille de Trasimene 217 av. JC.
Durant la seconde guerre punique, Carthage affronte l’Empire romain. A la tête de l’armée carthaginoise, Hannibal Barca remonte l’Espagne, traverse le sud de la Gaule, franchit les Alpes et redescend toute l’Italie. Le périple carthaginois va se poursuivre durant 17 années et permettre à Hannibal Barca de démontrer tout son génie tactique au cours d’un grand nombre de batailles victorieuses, dont la bataille de Cannes.

.
Durant ces 17 années, les Carthaginois vont terroriser l’Italie du Nord au Sud, sans jamais, portant, s’attaquer à Rome, capitale de l’Empire. Sur l’ensemble des batailles menées sous le commandement du célèbre général carthaginois, certaines ont particulièrement retenu l’attention sur le plan stratégique. C’est le cas de la bataille de Trasimene ; quoique n’étant pas spécialement innovante, cette bataille est l’application pratique d’une tactique militaire élémentaire : l’embuscade.
L’embuscade est une tactique qui nous parle à tous. Facile à comprendre, elle nécessite cependant le respect de certains critères pour être menée à bien. La bataille de Trasimene révèle, aussi, et une fois de plus, la maîtrise du général carthaginois dans les domaines du renseignement, du contrôle du temps et de la création d’apparences.

Les principes de l’embuscade

Choix du terrain

L’Art de la Guerre – VI,2 – Sun Tzu
« Et c’est pourquoi ceux qui sont experts dans l’art militaire font venir
l’ennemi sur le champ de bataille et ne s’y laisse pas amener par lui »

Cela semble une évidence, et pourtant c’est bien grâce à cela qu’Hannibal a mené tant de combats victorieux. Il choisit toujours son terrain. Toute manoeuvre n’a aucun sens si elle est sortie de son contexte géographique (Cette mention est d’ailleurs toujours aussi essentielle de nos jours, même dans le cadre des combats asymétriques dans lesquels la géographie doit être appréhendée dans un sens élargi).

Pour se placer dans la meilleurs configuration pour la bataille de Trasimene, Hannibal a délibérément accéléré la marche de son armée. Les Carthaginois ont traversées les plaines de l’Arno, à marche forcée, dans le but de prendre de l’avance sur leur poursuivant Flaminius et de livrer bataille dans le défilé de Borghetto. Hannibal prévoit et anticipe. Il est toujours soucieux de la qualité de la préparation et de la connaissance des contrées traversées. Une telle connaissance n’est possible qu’avec, soit l’utilisation d’éclaireurs très avancés, soit un réseau de renseignement d’une ampleur sans précédent, et très certainement les deux ensemble.

Dissimulation

L’Art de la Guerre – VI,1 – Sun Tzu
« Impalpable et immatériel, l’expert ne laisse pas de trace ;
mystérieux comme une divinité, il est inaudible».

En arrivant sur les rives du lac de Trasimene pour la bataille , c’est sans attendre que les carthaginois sont disposés à leur emplacement. On ne peut pas douter une seconde, à ce moment, de la connaissance parfaite du terrain par le général carthaginois. L’avance prise dans la traversée des plaines de l’Arno, permet de gagner du temps sur son poursuivant, non pour élaborer une stratégie déjà réfléchie, mais plutôt pour la mettre en place. La dissimulation d’une armée entière de plus de 30.000 hommes, dans le plus grand silence, avec une répartition précise en quatre corps de troupes est une prouesse qu’il est impossible d’improviser.

Création d’apparences

L’Art de la Guerre – I,17-19 – Sun Tzu
« Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie»
« Proche, faîtes croire que vous êtes loin, et loin, que vous êtes proche »

Flaminius connaissait le terrain et le risque que pouvait présenter le passage de son armée sur les rives du lac de Trasimene. En arrivant à l’entrée de la passe tard le soir, il décide de fixer son camp pour la nuit. Hannibal, quant à lui, ayant disposé son armée en embuscade et ordonné un silence absolu, décide de tromper le général romain en envoyant ses troupes non combattantes brandir des milliers de torches sur les collines très au-delà de la passe dangereuse. La manœuvre fonctionne si bien que le général romain ne prend même pas la peine d’envoyer des éclaireurs afin de s’assurer de la sécurité de la zone. Le lendemain matin, c’est donc l’ensemble de l’armée romaine qui va s’engager sans précaution et être prise au piège tendu par les Carthaginois.

Ce moment est crucial dans l’analyse de cette bataille de Trasimene. Pourquoi Flaminius, qui a stoppé sa progression pour la nuit, n’a-t-il pas fait preuve d’une élémentaire prévoyance en n’envoyant aucun éclaireur sur un passage connu comme dangereux ? Sa volonté de rattraper au plus tôt Hannibal a été aveuglée par le stratagème de création d’apparences au point de lui faire perdre de vue toute élémentaire précaution.

Vitesse d’exécution

L’Art de la Guerre – II,6 – Sun Tzu
« Tu Yu : Une attaque peut manquer d’ingéniosité,
mais il faut absolument qu’elle soit menée à la vitesse de l’éclair
».

Lorsque l’armée romaine est entrée en totalité à l’intérieur du dispositif mis en place par les Carthaginois, la coordination et la rapidité de l’attaque revêtent une importance majeure. Les Romains sont, en même temps enfermés sur leurs arrières par la cavalerie en réserve, stoppés en tête par les légions africaines et au centre, les troupes dévalent les collines, comme sorties de nulle part, pour projeter le convoi romain dans le lac. Une telle coordination, à l’échelle des quelques kilomètres de la zone des combats, est exceptionnelle.

La vitesse d’exécution est accentuée par deux éléments distincts. D’une part, c’est la cavalerie, et pas l’infanterie, qui vient fermer la passe sur les arrières du convoi. Ce souci de rapidité indique clairement la volonté d’Hannibal de concentrer les soldats romains pour donner le maximum d’effet au coup de massue arrivant des collines. D’autre part, l’exiguïté des rives, et l’impossibilité de partir en arrière, offrent le flanc du convoi à la merci d’une infanterie dévalant les collines sans difficulté. En raison de la configuration du terrain, la descente des troupes d’infanterie se fait d’un pas de charge accéléré par la déclivité. Le choc subi par le convoi romain, dans cette « apparition inattendue » comme le précise Polybe dans la description de la bataille, a du être d’une violence extrême.

Effet de surprise

La dissimulation d’une armée entière dans le plus grand silence, l’illusion de sécurité créé par des apparences trompeuses, et la vitesse d’exécution de l’ensemble de la manœuvre sont les éléments déterminants de l’effet de surprise. La météorologie est aussi favorable au général carthaginois. Ainsi la présence d’un épais brouillard bas qui ne remonte pas sur les collines, permet à l’armée carthaginoise de commencer sa descente en gardant la vision d’ensemble, alors que le convoi romain, lui, ne distingue rien du péril qui est en train de s’abattre sur lui.

Renseignement et maîtrise du temps lors de la bataille de Trasimene

Le « Story Telling » d’Hannibal

Peut-on parler de «Story Telling » à propos d’Hannibal ? Assurément ! Le général carthaginois n’a pas été juste un talentueux stratège et un tacticien créatif. La gestion de l’avant et de l’après combat est aussi un facteur important de sa réussite militaire.

La donnée la plus surprenante, dans la campagne de cette seconde guerre punique, est le réseau de renseignement dont dispose les carthaginois. Venant de Carthage, ayant traversé l’Espagne et la Gaule, Hannibal Barca se permet le luxe, en territoire ennemi, de choisir très en amont le terrain sur lequel il va combattre. Une telle connaissance est impossible sans un réseau de renseignement d’une grande fiabilité. Ce redoutable réseau de renseignement est le résultat du Story Telling développé par Hannibal qui se présente non seulement en ennemi de Rome, mais surtout en libérateur du joug romain.

Sa gestion des prisonniers est, à ce titre, caractéristique. Les prisonniers sont séparés en deux groupes, les Romains et les alliés de Rome. Les alliés de Rome sont traités avec mansuétude et presque toujours libérés. L’ambition du général carthaginois est certes de vaincre Rome, mais au-delà des victoires militaires il souhaite conquérir les peuples pour priver Rome de ses alliés. Depuis la première bataille sur le sol italien (Le Tessin), Hannibal tient aux prisonniers alliés de Rome qu’il libère, les mêmes propos « Je ne suis pas venu pour vous faire la guerre, mais pour vous restituer votre liberté confisquée par Rome ». Cette attitude envers les prisonniers génère beaucoup de sympathie et alimente un large réseau d’informateurs.
Le renseignement est un domaine qui est pris très au sérieux par Carthage, les historiens rapportent que les villes romaines étaient remplies d’espions carthaginois, présents même au Sénat, et qu’il existait au sein de l’armée un corps spécifiquement dédié aux opérations de renseignement.

Le temps sous contrôle

Gorin No Sho – II, A propos du rythme de la tactique – Miyamoto Musashi
«Dans le domaine des arts militaires, tels que le tir à l’arc, tir au fusil, jusqu’à l ‘équitation, tout obéit au rythme et à la cadence. Dans tous les arts et techniques on ne peut aller contre le rythme. ».

Lorsque l’on s’intéresse aux batailles menées par Hannibal, il ressort, de façon systématique, une grande maîtrise de l’enchaînement chronologique. Dans un premier temps, à Trasimene, Hannibal, qui se sait poursuivi par Flaminius, traverse à marche forcée les plaines de l’Arno. Pour s’assurer d’une traversée rapide, il verrouille l’arrière de son convoi avec ses fidèles et redoutables légions africaines. La traversée, très pénible pour la troupe, dure 4 jours, mais cette avance lui est nécessaire pour pouvoir exécuter l’embuscade prévue. La maîtrise du temps est de nouveau présente lors de l’attaque. La mise en place du verrou de cavalerie sur les arrières du convoi romain les prive de toute retraite. Simultanément, l’action des troupes au centre du champ de bataille, assénant un coup de massue brutal à l’armée romaine, empêche la mise en place d’un dispositif de combat et divise les rangs ennemis en petites troupes séparées, plus facile à vaincre.

La poursuite immédiate de l’avant-garde romaine, qui avait réussi à s’échapper et qui se rend rapidement, se fait sans attendre et préserve la cavalerie punique. Anticipant sur l’arrivée des cavaliers romains envoyés en renfort, la cavalerie carthaginoise, extrêmement bien renseignée, poursuit sa chasse. Elle se porte très en avant à la rencontre de l’avant-garde dépêchée par Servilius.
Il n’y a aucun temps d’arrêt dans la chronologie de cette confrontation et ce qui devait être un coup décisif en faveur de l’armée romaine, se transforme en cuisante défaite, ouvrant la route de la capitale.

Bataille de Trasimene, deux consuls romains dépassés

Flaminius impardonnable

Histoire générale – Chapitre XVII – Polybe
« C’est ainsi qu’Hannibal prenant adroitement Flaminius par son faible, l’attira dans ses filets. à peine eut-il levé son camp d’autour de Fiésoles et passé un peu au-delà du camp des Romains, qu’il se mit à dévaster tout. Le consul irrité, hors de lui-même, prit cette conduite du Carthaginois pour une insulte et un outrage.[…] Et sur-le-champ il se met en marche, sans attendre l’occasion favorable, sans connaître les lieux, emporté par un violent désir d’attaquer au plus tôt l’ennemi, comme si la victoire eût été déjà certaine et acquise.  »

L’Art de la Guerre – VI,1 – Sun Tzu
« Chang Yu : … Or lorsque l’armée est en marche
elle doit être précédée de patrouilles d’observation.».

Les historiens romains n’ont pas été tendres avec le Consul Caius Flaminius Nepo. Polybe n’hésite pas à écrire : « La plupart furent tués dans la marche même et avant qu’on eût le temps de les mettre en bataille, trahis pour ainsi dire par la stupidité de leur chef. ». Flaminius totalement aveuglé par la rage, décide de poursuivre l’armée carthaginoise coûte que coûte. Il refuse d’écouter son conseil de guerre qui lui demande d’attendre la jonction avec le Consul Servilius, eu égard à la nombreuse et dangereuse cavalerie carthaginoise.

Non seulement Flaminius décide de poursuivre seul son ennemi, à grande vitesse, mais il déroge même à la plus élémentaire prudence en s’engageant dans un défilé sans même avoir pris la précaution d’envoyer des éclaireurs. Cette erreur est aggravée par l’existence d’un brouillard épais sur le lac. En décidant de faire passer son armée dans un défilé étroit, entouré de collines et au milieu d’un brouillard épais, Flaminius viole toutes les règles élémentaires de prudence et livre son armée à un carnage prévisible.

Servilius impuissant

Le Consul Cnaeus Servilius Geminus est loin de la zone de bataille et du lac de Trasimène. C’est pour cette raison qu’il dépêche d’urgence son avant-garde de cavalerie pour porter renfort à Flaminius. Il fait preuve lui aussi de peu de prévoyance. Sa précipitation, certes louable, à détacher son avant-garde pour l’envoyer toutes brides abattues aux secours de Servilius est malvenue. Déjà confronté à l’armée carthaginoise autour d’Ariminum, il connaît la rapidité de manœuvre de l’ennemi et la dangerosité de sa cavalerie numide. L’effet de surprise et la maîtrise du temps des Carthaginois jouent encore en leur faveur et dès le premier contact l’avant-garde romaine perd la moitié de ses cavaliers.

Son avant-garde défaite, Servilius n’est plus en mesure de stopper l’avancée carthaginoise. De nouveau confronté à plusieurs reprises à Hannibal Barca dans l’année qui suivit, Servilius mourra aux commandes du centre de la ligne romaine pendant la bataille de Cannes le 2 août 216 av. JC.

Conclusion

Stratégie, IV, XXII – Basil H. Lidell Hart 
« Si le combat est un acte physique,
la direction du combat est un processus mental »

La bataille du lac de Trasimene est une démonstration du génie tactique d’Hannibal Barca et un exemple parfait d’embuscade. Un service de renseignement très efficace, le choix du champ de bataille, des troupes redoutables et très habilement employées, et un dispositif toujours très travaillé sont la base d’une campagne conduisant les Carthaginois de victoire en victoire. C’est cette base fondamentale qui se retrouve réaffirmée dans chacune des batailles du brillant général carthaginois.

L’embuscade, quant à elle, tant dans la finesse de son dispositif, que dans son déroulement chronologique est un modèle du genre. Basil H. Lidell Hart  dans son livre Stratégie, écrit : « Hannibal monta et réussit la plus importante embuscade de l’histoire ». Chacune de ses caractéristiques essentielles (la dissimulation, la création d’apparence, la vitesse d’exécution et l’effet de surprise) y est appliquée avec une grande maîtrise.

Du côté romain, Flaminius, et à moindre titre, Servilius, donnent l’exemple éclatant et suicidaire de l’absence de prise de recul. Ebloui par sa rage et trompé par les apparences, Flaminius ne prend aucune précaution élémentaire dans sa progression, et s’engage à la légère sur un terrain dangereux.

Peut-on reprocher, en revanche, à Servilius, cet envoi de renfort hasardeux ? C’est moins évident, mais sa connaissance de l’ennemi et l’importance de l’enjeu auraient du le pousser à plus de prudence. A défaut d’avoir été prudent, le consul Servilius a été pris dans le cercle vicieux déclenché par l’attitude irresponsable de son collègue Flaminius.

René HYS