La bataille de Cannes oppose Hannibal à l’armée romaine. C’est au cours de cette bataille que va se révéler tout le talent de stratège du grand Hannibal Barca à la tête de l’armée carthaginoise. Cette bataille de Cannes est un tel chef-d’œuvre tactique, qu’elle a servi de référence dans certains conflits jusqu’à nos jours. Elle est toujours étudiée dans les écoles militaires.
Bataille de Cannes, situation
C’est en -219 av. JC que débute la deuxième guerre punique lorsque le général carthaginois Hannibal Barca s’estimant, après deux années, suffisamment préparé remonte en europe. Il assiège la ville de Sagonte qu’il soumet après un siège sanglant de plus de huit mois. Cette première étape dans l’avancée des troupes carthaginoise est d’autant plus importante pour Hannibal qu’elle lui fournit une place forte dans une des plus puissante forteresse de la région. Place forte qui lui servira avec efficacité de base arrière dans ses avancées conquérantes à venir.
En -218 av. JC, poursuivant sa remontée au Nord, Hannibal prend la route de l’Italie, franchit le Rhône, puis les Alpes avec difficulté. C’est après avoir traversé le Pô, dans le Tessin qu’Hannibal inflige une nouvelle défaite à l’armée romaine. Lors de cette bataille, les tribus gauloises du Nord de l’Italie, intégrées dans l’armée romaine font défection. Ils se rallient aux Carthaginois. Face à ces défections croissantes des auxiliaires gaulois, le général romain Publius Cornélius Scipio repasse le Pô et se replie sur la Trébie. Hannibal se dirige alors vers la Trebie, défait une fois de plus l’armée romaine. Lors de cette bataille il perdra, en raison de leurs blessures et du froid, ses 38 éléphants devenus légendaires.
En -217 av. JC, la guerre marque un temps d’arrêt après la bataille du lac de Trasimène. L’armée de Rome y perd 30 000 hommes massacrés ou fait prisonniers. En juillet -217 av. JC Quintus Fabius Maximus, plus connu sous le nom de Fabius, est nommé consul. Le Consul Fabius, face à l’avancée irrésistible des armées d’Hannibal, adopte une stratégie de temporisation. Cette manoeuvre devenu célèbre sous le nom de « méthode fabienne » et qui lui vaudra le surnom de Cunctator (le temporisateur).
Mais l’élection en mars -216 av. JC de deux nouveaux consuls Lucius Aemilius Paulus (Paul Emile) et Caius Terentius Varro (Varron) change la situation. Les deux Consuls sont résolument partisans de l’offensive.
Batailles de Cannes, forces en présence et dispositifs
Le dispositif carthaginois est à scinder en trois éléments distincts. La ligne de front tout d’abord est très longue, plus longue que la ligne romaine. En son centre sont présents essentiellement les fantassins gaulois et ibères. Ce sont ces soldats qui subiront les plus lourdes pertes. Sans grand regret d’ailleurs, pour Hannibal qui les considère comme peu fiables en raison de leur grande indiscipline. Sur les extrémités de la ligne de front alignant 40.000 fantassins, attend la très redoutable et très redoutée infanterie lourde africaine qui viendra boucler la manoeuvre.
Le point fort d’Hannibal est sa cavalerie en léger surnombre par rapport aux romains (10 000 contre 7200), mais surtout, diversifiée et très aguerrie. L’aile droite accueille la cavalerie numide constituée de 3500 cavaliers.
Sur son aile gauche, clé de sa manœuvre, Hannibal aligne 6500 cavaliers lourds gaulois et ibères dont l’objectif immédiat sera d’écraser rapidement la cavalerie romaine qui lui fait face dans un rapport de force totalement disproportionné.
Face aux Carthaginois, les forces romaines sont nettement supérieures. Rome aligne 40.000 fantassins et 2.400 cavaliers, auxquels s’ajoutent des troupes auxiliaires à hauteur de 40.000 fantassins et 4800 cavaliers.
C’est donc une force globale constituée de 80.000 fantassins et 7.200 cavaliers qui se met en place contre l’armée carthaginoise. Le rapport de presque 2 contre 1 en faveur de l’armée romaine.
La disposition des troupes romaines est classique avec un front constitué de trois blocs successifs. Le premier bloc est celui de l’infanterie légère avec les « vélites ». Les velites ont pour principale fonction de harceler l’adversaire au moyen de toutes sorte d’armes de jet et de projectiles, avant le choc d’infanterie. Le deuxième bloc, aligne des hommes plus expérimentés formant en réalité la première ligne de combat d’infanterie. Les « hastati » en tête sont les plus jeunes suivis des « principes », combattants confirmés. Le dernier bloc est celui des « triarii », vétérans de la légion.
Bataille de Cannes, déroulement de la bataille
La bataille de Cannes se caractérise par une disposition déséquilibrée, avec une ligne de front convexe, créant trois points de friction. Ces points seront les trois positions successives du centre de gravité des combats. Le combat s’amorce sur ces trois points de friction.
Sur l’aile gauche, le général carthaginois fait donner toute la puissance de sa cavalerie lourde gauloise et ibère. Ces troupes, en fort surnombre, ont pour objectif de défaire la cavalerie romaine en un temps record. ( Nous employons volontairement le terme de « friction » défini comme un « point de contact » des belligérants. Au contraire de Clausewitz qui considère que la friction est un concept regroupant ce qui « s’oppose à l’action de guerre »).
Sur l’aile droite la cavalerie numide stabilise et fixe la cavalerie d’auxiliaires romains. Son objectif est de les tenir en respect durant un temps suffisant pour permettre à la cavalerie lourde de se porter à l’assaut des arrières romains. Le front convexe est quant à lui un leurre. La ligne de front doit se refuser de façon maîtrisée. Ce recul permet d’attirer l’infanterie adverse qui va s’enfoncer avec d’autant plus de facilité que la résistance est habilement mesurée.
« Se refuser » dans le sens de « Ne pas vouloir faire » est un terme militaire couramment utilisé, indiquant un recul volontaire.
Très rapidement, le « coup de massue » de la cavalerie lourde punique sur l’aile gauche du front est décisif. La cavalerie romaine est écrasée. Alors que l’aile droite fixe l’avancée de la cavalerie auxiliaire romaine et que le front s’enfonce sous la pression romaine.
Une fois la cavalerie romaine défaite sur le flanc gauche, la cavalerie lourde gauloise et ibère traverse ventre à terre le champ de bataille pour se jeter sur les arrières de la cavalerie auxiliaire romaine. Ce choc est puissant et rapide, comme l’a été le précédent. Les cavaliers auxiliaires romains sont désormais en très net sous-nombre. Ils sont encerclés. Les Romains, eux, sont assaillis sur l’avant et sur l’arrière, et subissent une charge violente des cavaliers gaulois..
Pendant ces chocs brutaux sur les forces de cavalerie romaines, le front est, quant à lui, toujours en mouvement. Les romains s’enfoncent inéluctablement au centre de la ligne de front. Les troupes puniques reculant, les ailes très étendues de la ligne se referment sur les légions romaines.
La ligne de front carthaginoise est constituée de fantassins gaulois et ibères. Ses ailes sont, quant à elles, constituées de la très puissante infanterie lourde africaine qui referme progressivement la nasse et vient encadrer des troupes romaines désormais en perdition. L’issue de la manœuvre est fatale à l’armée romaine. Les légions sont tenues en arrêt à l’avant par les troupes celtes et espagnoles. Elles sont attaquées sur ses deux flans par l’infanterie africaine et subissent sur leurs arrières les assauts d’une cavalerie lourdement armée et déjà victorieuse. La cavalerie numide quitte rapidement le champ de bataille à la poursuite des derniers éléments en fuite de la cavalerie auxiliaire romaine.
Encerclée de toute part, l’armée romaine a perdu en totalité sa cavalerie. Elle doit faire face à un encerclement complet se resserrant dans une perfection qui ne lui laisse plus aucun espace de mouvement. L’absence d’espace et de recul ne lui laisse pas même l’espace nécessaire au maniement des armes.
Hannibal perd dans cette bataille environ 5500 hommes (4000 gaulois, 1500 espagnols et africains) et seulement 200 chevaux. La plus lourde perte est celle des soldats gaulois en raison de leur position centrale sur la ligne de front. Force est de constater, par ailleurs, que ces pertes assumées par les gaulois faisaient certainement partie du plan d’Hannibal. Ces pertes lui permettent de préserver ses meilleures troupes en sacrifiant des fantassins gaulois indisciplinés qui n’ont pas ses faveurs.
Pour Rome, en revanche, la bataille a tourné au massacre. Polybe estime les pertes romaines à 70.000 hommes. Tite-Live est plus crédible avec une estimation de l’ordre de 48.000 morts dont 45.000 fantassins. Le nombre de prisonniers est aussi très impressionnant avec un nombre estimé à 3.000 fantassins et 1.500 cavaliers.
La réalité des chiffres avancés est variable selon les auteurs. Cependant, l’une des plus grande armée jamais réunie par Rome est anéantie et une grande partie purement et simplement massacrée. La perte est d’autant plus importante pour Rome qu’étaient présents au sein de ses troupes de nombreux membres de l’aristocratie romaine. Tite-Live mentionne, outre le consul Paul Emile, deux questeurs, entre vingt et trente tribuns, quatre vingt sénateurs ou magistrats ayant rang de sénateurs, d’anciens consuls, d’anciens prêteurs, d’anciens édiles.
Après la bataille de Cannes
Après cette campagne destructrice, et une bataille qui tourne au massacre à Cannes, Hannibal ne donne toutefois pas le coup de grâce à Rome distant de 400 kilomètres. Les différents auteurs justifient ce choix délibéré du général carthaginois par plusieurs raisons. Tout d’abord Hannibal ne disposait pas du matériel qui lui était nécessaire pour assiéger une ville protégée par le mur Servien. Hannibal n’aurait eu, ensuite, pour objectif, que la destruction du pouvoir de Rome en la privant de ses alliés et non la chute de la cité en tant que telle.
Quelles que soient, cependant, les raisons de sa décision, Hannibal se la verra reprocher par ses proches. Selon Tite-Live, Maharbal, un de ses généraux, qui lui aurait déclaré : « Hannibal, tu sais vaincre mais tu ne sais pas utiliser ta victoire ! ». Les années qui suivirent donneront raison au général Maharbal. Rome, qui ne reconnut pas sa défaite, sut prendre les mesures politiques et militaires nécessaires.
Les succès remportés sur d’autres terrains d’opération dont en Hispanie, la ténacité du peuple romain, la fidélité de ses alliés et des généraux de grande valeur, aboutiront en – 202 av. JC à la bataille de Zama qui verra Scipion l’Africain, défaire Hannibal en employant contre son illustre créateur la tactique utilisée à Cannes.
René HYS
René HYS, Bataille de Cannes – 216 av. JC – Analyse Tactique