Batailles

Bataille de Trasimene 217 av. JC

Bataille de Trasimene - 217 av.JC
Bataille de Trasimene – 217 av.JC

La bataille de Trasimene, exemple d’embuscade
Grand classique de la stratégie, l’embuscade est une tactique courante, utilisée depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, et dont l’objectif est de se dissimuler pour attaquer l’ennemi par surprise. Présente dans de nombreux conflits armés, y compris dans notre histoire récente comme en 2008 à Uzbin (Afghanistan), la réussite de l’embuscade dépend de la trois facteurs essentiels : la connaissance du terrain et de sa configuration, la connaissance de l’ennemi, de son organisation et de ses déplacements, et, l’effet de surprise.

La maîtrise de ces trois facteurs permet de l’emporter dans le cadre d’une action rapide et très organisée. C’est ce qui s’est passé le 21 juin 217 av. JC sur les bords du lac de Trasimène en Italie, dans un combat opposant Hannibal Barca, à la tête de l’armée carthaginoise, poursuivi par le Consul Caïus Flaminius Nepo et ses deux légions romaines.

Situation

Nommé à la tête de l’armée carthaginoise en 219 av.JC, Hannibal Barca conquiert rapidement l’Espagne, remonte vers le sud de la Gaule, traverse les Alpes et arrive en Italie. Dès 218 av. JC, l’armée carthaginoise qui a progressé rapidement, remporte ses premières victoires face aux légions romaines au Tessin et à la Trébie, dans le Nord de l’Italie.

Face à l’avancée des Carthaginois, Rome souhaite regrouper deux armées afin de stopper cette avancée victorieuse qui se rapproche dangereusement de la capitale de l’Empire. L’objectif de Rome étant de remporter une bataille décisive, l’ordre est donné aux commandants en charge de ces deux armées : le Consul Caïus Flaminius Nepo et le Consul Cnaeus Servilius Geminus, de progresser rapidement pour se rejoindre et faire face, ensemble, au général carthaginois, afin de marquer un coup d’arrêt définitif à son avancée rapide.

Hannibal Barca, en campagne depuis deux ans, dirige une armée expérimentée et se sait talonné par l’armée de Flaminius. Il décide de fixer son armée sur les bords du lac de Trasimene, afin de se débarrasser de son poursuivant avant la jonction des deux armées romaines.

Bataille de Trasimene - 217 av. JC - René HYS
Bataille de Trasimene – 217 av. JC

Bataille de Trasimene, forces en présence

Hannibal Barca est à la tête d’une armée de 30 à 40.000 fantassins et de 10.000 cavaliers. Cette armée carthaginoise est hétéroclite et recrute beaucoup lors de son avancée vers Rome. Se présentant comme un libérateur, Hannibal agglomère non seulement de nombreuses recrues volontaires durant sa progression, mais procède aussi parfois à des recrutements forcés. Dans ses rangs sont présents des fantassins et cavaliers gaulois, dont il est souvent précisé le manque d’obéissance, des Numides dont la cavalerie est réputée pour ses qualités en combat d’escarmouche, des Ibères, des Baléares et des Carthaginois. L’ensemble de cette armée est complété par les redoutables légions africaines.

De son côté le Consul Caïus Flaminius Nepo dispose de 22.000 fantassins et de 3000 à 3500 cavaliers romains et alliés. L’armée de renfort du second Consul Cnaeus Servilius Geminus est encore trop éloignée et ne peut opérer la jonction avant plusieurs jours.

Déroulement de la bataille de Trasimene

Une parfaite analyse du terrain

Dans un premier temps, l’armée carthaginoise, qui se sait poursuivie, franchit péniblement les plaines marécageuses de l’Arno à marche forcée afin de prendre le contrôle tactique. Hannibal atteint son objectif en arrivant très vite sur les berges du lac de Trasimene. Son armée s’engage alors dans le défilé de Borghetto sur une berge étroite entre le lac et les collines en surplomb.

La configuration topographique de la passe est idéale pour une embuscade. S’allongeant sur un maximum d’une dizaine de kilomètres, l’entrée ainsi que l’extrémité de la passe sont étroites. Au centre, les collines en pente douce sont constituées de forêts de chênes, idéales pour se cacher. Hannibal connaît parfaitement la configuration du terrain sur lequel il s’engage et dispose d’emblée son armée en quatre corps distincts sur la totalité de la passe.

Très en retrait, sur les hauteurs à l’entrée du défilé, est mis en place le premier corps, constitué d’une réserve de cavalerie dont le mission est de fermer l’accès une fois l’ensemble des troupes romaines engagées. Plus en avant, dans les forêts, le deuxième et le troisième corps sont échelonnés sur les hauteurs avec en premier lieu les troupes gauloises, suivies des Baléares et des Carthaginois. La présence de ces forêts éloignées des rives du lac, représentent pour les troupes un terrain idéal de dissimulation.

Le quatrième corps, constitué des Ibères et des légions africaines prend position, quant à lui, en cantonnement au niveau du défilé de Borghetto. Le dispositif carthaginois, utilisant au mieux la configuration du terrain, est en place pour verrouiller totalement la passe à ses deux extrémités et fondre littéralement sur le convoi au centre.

Bataille de Trasimene – 217 av. JC – Phase 1

Le jeu des apparences

L’Art de la Guerre Sun Tzu II,19
« Traitez bien les prisonniers, et prenez soin d’eux »

Deux choses sont importantes à préciser dans le fonctionnement de la pensée tactique d’Hannibal Barca. Sa posture de libérateur génère sur son passage un élan favorable qu’il sait parfaitement exploiter à deux niveaux. Tout d’abord, de nombreuses troupes alliées le rejoignent volontairement, lui permettant d’augmenter les effectifs de son armée, ou, tout au moins, d’en limiter la diminution due aux pertes inéluctables. Ensuite, cette posture de libérateur, associée à la remise en liberté de nombreux prisonniers, lui assurent un réseau de renseignement de grande ampleur et d’une réelle fiabilité.

L’Art de la Guerre Sun Tzu III,31
« Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même ;
en cent batailles vous ne courrez jamais aucun danger »

Hannibal, extrêmement bien renseigné a une parfaite connaissance, non seulement du terrain, mais aussi de ses adversaires. Il connaît les travers de Flaminius, irritable et précipité. Il sait aussi que le Consul Flaminius, en 223 av. JC, est passé outre la demande du Sénat de rentrer à Rome avec son armée et a poursuivi le combat en Gaule cisalpine. Malgré sa victoire sur les Gaulois du nord de l’Italie, cet épisode est révélateur de son caractère impétueux, bravache et de sa propension à prendre des décisions précipitées.

L’Art de la Guerre Sun Tzu VI,2
« […] ceux qui sont experts dans l’art de la guerre font venir l’ennemi
sur le champ de bataille et ne s’y laisse pas amener par lui »

Flaminius connaît la topographie, il pense d’ailleurs, sur ce point, avoir l’avantage. Même impétueux, il n’est pas sans connaître le risque que peut présenter le passage de son armée dans le défilé de Borghetto. Lorsqu’il arrive à l’entrée de la passe, Flaminius sait que l’armée carthaginoise s’y est engagée. Il est tard le soir et il décide d’installer son campement.
Hannibal a gagné son premier pari d’attirer l’ennemi sur le terrain qu’il a choisi. Il a déjà disposé ses troupes sur les collines et l’embuscade est en place.

L’Art de la Guerre Sun Tzu I,17 et 19
« Tout l’art de la guerre est basé sur la duperie »
« Proche, faîtes croire que vous êtes loin, et loin, que vous êtes proche »

Une fois le dispositif carthaginois fixé, dans un silence absolu, et son camp discrètement établi aux environs du défilé de Borghetto, Hannibal décide de tromper le général romain. Il envoie des troupes non combattantes munies de milliers de torches très au-delà du camp, sur les collines éloignées, afin de créer l’illusion d ‘éloignement. La passe donne ainsi l’apparence d’avoir été largement franchie par les Carthaginois, et d’être libérée de tout danger.

Bataille de Trasimene – 217 av. JC – Phase 2

Une embuscade millimétrée

L’Art de la Guerre Sun Tzu XI,29
« La promptitude est l’essence même de la guerre»

La principale caractéristique du général carthaginois est d’avoir toujours montré des dispositifs et des enchaînements extrêmement travaillés. Il choisit son champ de bataille, contrôle le déroulé chronologique, utilise les ressources de chacune de ses troupes en fonction de leurs capacités respectives, et maîtrise l’enchaînement des actions .
La météorologie est favorable. Les abords du lac sont recouverts d’une épaisse nappe de brouillard bas qui n’atteint pas les collines en surplomb. Lorsque l’arrière-garde romaine termine de s’engager dans la passe, l’armée carthaginoise déclenche trois actions simultanées : la cavalerie de réserve ferme l’entrée de la passe ; les troupes gauloises repoussent brutalement les légionnaires vers le lac ; les Baléares et Carthaginois s’abattent sur le convoi pour le diviser, isolant ainsi l’avant-garde romaine constituée d’environ 6.000 hommes.

Sur l’avant du convoi romain les Ibères et les légions africaines forment un dispositif d’arrêt, tandis que sur le milieu et l’arrière de la colonne romaine, c’est un véritable carnage. La surprise est totale. La rive réduite rend impossible toute manœuvre de l’armée romaine et l’empêche de prendre ses dispositions habituelles de combat. Les légionnaires romains sont tués sur place ou propulsés vers le lac, dans lequel beaucoup se noient en raison du poids de leur équipement. Ceux qui ne meurent pas sont achevés dans l’eau par les cavaliers.

Une suite décisive

Malgré la qualité de son dispositif, Hannibal ne peut empêcher l’avant-garde romaine de percer le verrou carthaginois et ce sont donc près de 6.000 Romains qui s’échappent de la passe.
Les combats sont rapides et la totalité des troupes romaines restées sur place est massacrée en moins de trois heures. Rapidement, Mararbhal, chef numide et général d’Hannibal se lance à la poursuite de l’avant-garde romaine avec sa cavalerie. L’avant-garde romaine est rattrapée par Mararbhal dans la nuit. Polybe et Tite-Live, les historiens romains qui ont rapporté les combats, ne présentent pas la même version de la reddition romaine, mais s’accordent sur le fait que les Romains ont rendu les armes.

L’armée de Flaminius est défaite. Il reste cependant la seconde armée romaine, conduite par Servilius. Celle-ci est encore loin, mais un renfort d’environ 4.000 cavaliers a été envoyé au secours de Flaminius. Mararbhal, sur l’ordre d’Hannibal, avance à la rencontre de ces renforts avec une infanterie légère et une troupe de cavalerie. La bataille a lieu dans les marais de Plestia, situés à environ 70 kilomètres du lac de Trasimene. Dès le premier choc l’avant-garde de Servilius perds la moitié de ses troupes et se réfugie sur les hauteurs. Rapidement encerclée, elle est vaincue.
Hannibal était informé de l’arrivée de l’avant-garde de cavalerie de Servilius et l’on peut remarquer, une fois de plus, la qualité du service de renseignement carthaginois.

Après la bataille

Les pertes romaines sont colossales. Sur les 25.000 hommes de l’armée de Flaminius, 15.000 sont morts et 10.000 sont prisonniers. Le Consul Flaminius est tué durant les combats, il est selon Tite-Live, décapité par un soldat celte du nom de Ducarios. L’armée du Consul Servilius est quant à elle extrêmement affaiblie par la perte de 4.000 cavaliers et n’est plus capable de stopper la progression carthaginoise.

Du côté carthaginois les pertes sont réduites à environ 2.000 hommes, principalement des Gaulois. On évoque généralement deux raisons principales à la sur-mortalité des Gaulois : leur manque de discipline et le peu d’intérêt qu’Hannibal Barca leur portait.

La nouvelle de cette défaite arrive rapidement à Rome. Même si aucun détail n’est donné à la population romaine, la nouvelle de la mort du Consul Flaminius et de l’extermination de son armée surprend et sème un doute sur la capacité de l’Empire à protéger sa capitale, Tite Live allant même jusqu’à évoquer « la consternation » qui s’empara du peuple romain. Cette défaite romaine marque la prise de possession de l’Etrurie par l’armée carthaginoise. La route de Rome est ouverte.

Conclusion

La bataille de Trasimene est intéressante stratégiquement à deux niveaux.
Tout d’abord Hannibal démontre, une fois de plus, la justesse de sa vision globale de la conduite de la guerre. Les batailles sont des moments clés dans un schéma d’ensemble où aucun élément n’est laissé au hasard. La progression est guidée par une gestion rigoureuse du temps, dans laquelle se présentent de nécessaires accélérations contrôlées. Le réseau de renseignement est dense et le recrutement de troupes se fait sans difficultés. Et pour ce qui est des batailles elles-mêmes, le général carthaginois se met toujours en situation de choisir le lieu des combats.

La bataille de Trasimene est, ensuite, un exemple parfait d’embuscade. La tactique n’est pas nouvelle, mais Hannibal excelle de la conception à la conduite de la manoeuvre. Cette embuscade démontre parfaitement la maîtrise du terrain et de sa configuration, une parfaite connaissance de l’ennemi, de son organisation et de ses déplacements, et, l’aménagement d’un fort effet de surprise.

La bataille de Trasimene est le point d’inflexion de la seconde guerre punique. Alors que la route de Rome est ouverte, Hannibal ne va pas s’attaquer à la capitale de l’Empire. Sa descente en Italie va continuer sur la côte Est en direction de l’Italie du Sud, où se dérouleront plusieurs confrontations dont la célèbre et magistrale bataille de Cannes.

René HYS

René HYS, Le Théoricien et le Stratège